L’hydrogène : carburant (automobile) du futur ou sans futur ?

Dans les chiffres de vente des voitures, les véhicules électriques à batterie gagnent de plus en plus de terrain. C’est compréhensible, étant donné les objectifs climatiques du Pacte vert pour l’Europe : une Europe neutre en CO2 d’ici à 2050 et une interdiction de la vente des voitures à moteur essence ou diesel à partir de 2035. Mais où en est-on avec cet autre « carburant du futur », l’hydrogène ? Nous sommes allés poser cette question à Sjoerd Zijlstra, directeur Études et développement de la formation chez Educam et un connaisseur de cette technologie.

 

L’hydrogène est une solution fréquemment citée lorsqu’il est question de transition énergétique et de mobilité durable. Dans le Pacte vert pour l’Europe, il est certainement considéré comme l’une des solutions pour atteindre les objectifs climatiques. En effet, l’utilisation d’hydrogène ne libère pas de CO2. Pas étonnant, donc, que l’Europe consacre beaucoup d’attention à cette technologie pour la réduction des gaz à effet de serre, non seulement dans l’industrie, mais aussi pour le transport, responsable de 27 % des émissions de CO2 en Europe. Une « solution miracle », donc, même si cette technologie doit provisoirement céder le pas aux véhicules électriques dans la course à la réduction des émissions de CO2.

Cette situation va-t-elle perdurer ou n’est-ce qu’une question de temps avant que les voitures à hydrogène soient omniprésentes chez les concessionnaires et dans les rues ? Comment fonctionne une voiture à hydrogène ? Quels sont les avantages et les inconvénients de la technologie et à quoi pouvons-nous nous attendre dans un futur (proche) ? Assez de questions pour un agréable entretien avec Sjoerd Zijlstra, directeur Études et développement de la formation et expert en hydrogène chez Educam.

Commençons par le début : qu’est-ce que l’hydrogène ?

L’hydrogène, le H tout à fait en haut à gauche du tableau de Mendeleïev, est l'élément chimique le plus courant et le plus petit présent sur notre planète. Il est inoffensif, très volatil, inodore, invisible, extrêmement inflammable, mais il contient pas mal d’énergie. Il n’est toutefois pas présent dans la nature sous une forme isolée, mais uniquement dans des liaisons, par exemple dans l’eau, H2O. Quand nous parlons ici d’hydrogène, il s’agit en réalité de la molécule d’hydrogène, H2.

On ne peut pas extraire d’hydrogène. Il faut le produire. Il peut être obtenu comme produit résiduel de processus chimiques. Pour le moment, il est surtout fabriqué à partir de gaz naturel, mais ce n’est évidemment pas la meilleure solution, puisqu’une source d'énergie fossile est utilisée et que du CO2 est libéré au cours du processus de production.

Ce n’est pas tout à fait ce que les objectifs climatiques visent ?

C’est vrai en partie. On parle d'ailleurs à cet égard d’« hydrogène gris ». Ce n’est pas l’idéal, mais c’est plutôt une étape intermédiaire. Il existe d’autres manières de produire de l’hydrogène, comme l’électrolyse, où le H2 est soustrait à l’eau au moyen d’électricité. Si cette électricité est produite avec des sources d'énergie renouvelables, comme les panneaux solaires, les éoliennes ou les centrales hydrauliques, tout le processus est bel et bien écologique. L’hydrogène est un vecteur d'énergie, vous pouvez stocker l’énergie dans l’hydrogène pour l’utiliser ultérieurement. C’est peut-être le plus grand avantage, certainement lorsque nous serons entièrement passés à l’énergie renouvelable. Les panneaux solaires ou les éoliennes ne sont pas des sources d’énergie stables, parce qu’elles produisent plus ou moins d’énergie en fonction des conditions climatiques. Les jours très ensoleillés ou très venteux, la production d'énergie des panneaux solaires ou des éoliennes dépasse largement la demande. C’est pratique de pouvoir conserver ce surplus d’énergie sous la forme d’hydrogène jusqu’à ce que la demande augmente à nouveau. L’hydrogène peut alors être transporté, par exemple via des canalisations, vers l’endroit où il est nécessaire.

Comment fonctionne en réalité l’hydrogène dans une voiture ? Une voiture à hydrogène roule-t-elle comme une voiture à essence ou diesel ?

Ce serait en effet possible. Il existe sur le marché des machines lourdes qui fonctionnent de cette manière. Elles démarrent grâce au diesel et passent ensuite à l’hydrogène. Mais on conserve alors le plus faible rendement d’un moteur à combustion. L’avantage est que, lors de la combustion du H2, seule de l’eau est libérée. Un tel moteur produit donc de l’eau mais il ne roule pas à l’eau, pour être très clair.

Lorsque nous parlons de véhicules à hydrogène, il s’agit d’une autre technologie, à savoir la pile à combustible ou fuel cell. La voiture est équipée d’un réservoir d’hydrogène et d’une pile à combustible. Le gaz hydrogène (H2) provenant du réservoir à carburant est combiné dans la pile à combustible avec de l’oxygène. Cela crée une énergie électrique qui peut directement entraîner un ou plusieurs moteurs électriques, avec de l’eau (H2O) comme unique produit résiduel. De plus, la voiture possède également une batterie tampon qui est utilisée pour l’accélération et la décélération et dans laquelle l’énergie du freinage peut être stockée.

En fait, la voiture est alors une voiture entièrement électrique, toute comme la voiture électrique avec batterie. C’est pourquoi on les appelle dans le jargon respectivement Fuel Cell Electric Vehicle (FCEV) et Battery Electric Vehicle (BEV). Dans une batterie, l'énergie stockée est libérée une fois et s'épuise au fil du temps jusqu'à ce que la batterie soit rechargée. Le grand avantage de la pile à combustible, c’est que l'électricité est libérée en continu tant que de l’hydrogène est ajouté. Si on y ajoute le poids inférieur de la pile à combustible H2 – par rapport à celui d’une batterie électrique – cela permet d’atteindre une plus grande autonomie.

Et pour l’hydrogène, on peut simplement faire le plein comme avec du diesel ou de l’essence ?

Oui, c’est certainement possible, bien sûr à une pompe à hydrogène spéciale. Mais c’est tout aussi simple. Remplir un réservoir à hydrogène de 5 kg dure environ 5 minutes et offre une autonomie, en fonction du modèle de la voiture, comprise entre 600 et 700 km. La nouvelle Toyota Mirai aurait même un rayon d'action de 1 000 km. Recharger une batterie électrique à un chargeur rapide prend déjà facilement 45 à 50 minutes et, avec une prise normale, nous parlons déjà facilement de plusieurs heures. Mais vous pouvez recharger cette batterie lorsque vous n’utilisez pas la voiture.

L’inconvénient de l’hydrogène, c’est le volume. Il est pas moins de 14 fois plus léger que l’air. Sous forme gazeuse et à une pression normale, 1 kg d’hydrogène a un volume de 12 m3 ! C’est énorme. C’est pourquoi il est fortement comprimé, jusqu’à bien 700 bars, pour arriver à un volume acceptable. Pour vous donner une idée, pour stocker 5 kg d’hydrogène, vous avez besoin de 2 réservoirs de la taille d’un réservoir de LPG. Tout le système pèse beaucoup moins que la batterie d’une voiture électrique, mais il prend plus de place.

Y a-t-il déjà dans notre pays des voitures à hydrogène ? On en voit en tout cas peu dans les rues.

Effectivement, je ne connais pas le chiffre précis, mais c’est provisoirement encore un produit de niche. En ce qui concerne les véhicules particuliers, il n’y a pour le moment que deux modèles disponibles sur le marché belge : la Toyota Mirai et le Hyundai Nexo. En coulisse, pas mal de constructeurs sont occupés à développer des FCEV. BMW va sortir une voiture H2. Mercedes a récemment livré une série de modèles H2 au Parlement européen pour les tester. Entre-temps, Renault a annoncé qu’elle allait commercialiser un Master à hydrogène. Land Rover aurait préparé un prototype d’un Defender H2 et le groupe Stellantis parle de petits véhicules utilitaires. Cela bouge donc dans le secteur automobile. Dans une série de villes, les sociétés de transport public utilisent déjà des bus à hydrogène. Il est peut-être encore un peu trop tôt pour une grande percée, mais cela peut beaucoup changer en quelques années.

Peut-être l’hydrogène a-t-il un problème d’image auprès du grand public, en ce qui concerne la sécurité, car c’est tout de même un produit très inflammable. Certaines personnes parlent même d’une bombe roulante !

Oui, cela fait partie des mythes. Je pense que cela vient en partie de l’ignorance, et en partie d’une certaine résistance initiale qui existe toujours chez les gens lors de l’introduction d’une nouvelle technologie. L’hydrogène est très inflammable et a en effet besoin de peu d’énergie pour brûler.

Les réservoirs à hydrogène sont fabriqués dans un carbone spécial qui peut résister à une pression de 700 bars. De plus, les réservoirs sont soumis à des essais très spécifiques. On tire même des coups de feu dessus. Les réservoirs sont également systématiquement placés entre les roues arrière de la voiture, soit l’endroit le plus sûr en cas de collision. Et ils doivent aussi réussir tous les tests NCAP. Il n’en va pas autrement que pour les voitures à essence ou diesel. Tout le système est également équipé de sécurités et de systèmes de détection de fuites. En matière de sécurité, une voiture à hydrogène n'est pas inférieure, au contraire.

Nous constatons entre-temps que la vente des voitures électriques augmente progressivement. Les constructeurs investissent aussi beaucoup dans les voitures électriques à batterie. L’affaire semble être réglée. La voiture à hydrogène a-t-elle bien un avenir ou est-ce une technologie prometteuse qui va mourir prématurément ?

Je ne le pense pas. Nous aurons besoin des deux technologies pour atteindre les objectifs climatiques en matière de transport. Je les vois plutôt coexister. L’UE et d’autres instances publiques édictent des normes en matière d'émissions de CO2 et de climat, mais ils ne parlent pas de technologie. Et n’oubliez pas que, en coulisse, pas mal de constructeurs sont en toute discrétion occupés avec la technologie de l’hydrogène.

Ce n’est pas une question de choix exclusif, soit l’un, soit l’autre. Je pense que les deux technologies, les FCEV et les BEV, vont continuer à se développer et auront toutes les deux leur place, mais alors plutôt en fonction du type de transport. L’hydrogène va incontestablement jouer un rôle important. Certainement dans le transport du fret, qui pour l’instant ne roule qu’au diesel et émet beaucoup de CO2. Les camions ont en effet assez de place pour accueillir des réservoirs d’hydrogène. Ils ont souvent une limite de poids et les lourdes batteries sont dans ce cas un inconvénient. Pour les longs déplacements en véhicules particuliers, l’hydrogène offre aussi un avantage, grâce à la rapidité du ravitaillement en cours de route et grâce au plus grand rayon d’action. La voiture électrique est plutôt destinée à la circulation urbaine et aux déplacements plus courts.

Je le concède, l’approvisionnement en hydrogène est provisoirement encore un problème. En Belgique, il y a pour l’instant 3 stations d’hydrogène et une quatrième est en construction. En comparaison, les Pays-Bas comptent 7 stations de H2 et 3 en construction et l’Allemagne en a 91 et 17 en construction. De plus, un FCEV est encore très cher.

N’oubliez toutefois pas que la voiture électrique à batterie n’est pas non plus apparue sans heurts. Il y avait aussi une résistance du consommateur, notamment à propos de l’autonomie. Au début, il y avait certainement trop peu de bornes de recharge, mais de très grands efforts ont été faits. Les voitures électriques étaient aussi au début beaucoup plus chères qu’une voiture ordinaire à essence ou diesel, mais, grâce à toute une série d’incitants fiscaux, elles sont devenues de moins en moins chères. Cela va donc dans la bonne direction. Et je ne vois pas pourquoi il n’en irait pas de même pour les FCEV...

La technologie de l’hydrogène a donc bien une série d’atouts pour jouer un rôle significatif dans le secteur des transports de demain ?

Cela va beaucoup dépendre de la manière dont les technologies vont évoluer. Pensez aux développements technologiques en matière de batteries électriques et aux progrès accomplis en très peu de temps. Je suis sûr que les batteries seront encore plus légères à l’avenir et qu’elles permettront une plus grande autonomie. Peut-être des batteries moins dépendantes de certaines matières premières rares seront-elles commercialisées. Car l’extraction de ces matériaux a également un coût climatique.